La crise de la dette n’est pas l’apanage des Etats : elle touche aussi le football espagnol, ses 4 milliards d’euros de dettes cumulées et ses joueurs parfois payés en retard, voire pas du tout. Las, ceux-ci ne reprendront pas le championnat ce week-end, faute d’accord vendredi entre la Ligue de football professionnel (LFP) et l’Association des footballeurs espagnols (AFE). C’est la première fois, depuis vingt-sept ans, que la reprise de la Liga est repoussée. Et la situation pourrait s’éterniser tant les positions de la Ligue et des joueurs «sont très éloignées», de l’avis des deux camps.
Que se passe-t-il ?
Les joueurs de première et deuxième divisions espagnoles ne veulent plus jouer tant que les arriérés des clubs n’auront pas été versés aux sportifs. Et que leur convention collective, jugée favorable aux dirigeants des équipes, n’aura pas été renégociée. Historiquement adossés financièrement aux caisses d’épargne (détentrices d’actifs pourris), aux collectivités locales (qui mènent désormais une politique d’austérité), voire au bâtiment (en pleine crise), la plupart des clubs espagnols doivent faire face à d’importantes difficultés financières. Six équipes de Liga BBVA (1re division) étant même en cessation de paiement : Real Saragosse, Betis Seville, Real Majorque, Rayo Vallecano, Racing Santander et Grenade FC.
Selon l’Association des footballeurs espagnols, les 42 clubs de Liga BBVA et de Liga Adelante (deuxième division) doivent 50 millions d’euros de salaires à plus de 200 joueurs. Après une série de rencontres infructueuses, le président de la Ligue et le représentant de l’AFE ont décidé d’entamer dès vendredi un marathon de trois réunions d’ici à lundi pour tenter de sauver la deuxième journée, le week-end prochain. Si la grève se poursuit, elle aura des conséquences financières désastreuses : les droits de retransmission télévisuelle, l’une des deux principales sources de financement des clubs avec les transferts, seraient alors nuls…
Que veulent les joueurs ?
Qu’on leur donne ce qu’on leur doit, déjà. L’AFE exige également un fonds de garantie censé couvrir les salaires jusqu’en 2015 : la LFP l’a doté de 40 millions le 3 août, ce qui assure - selon les clubs - un revenu annuel de 240 000 euros à chaque joueur de première division et de 120 000 euros à ceux de deuxième division. Insuffisant pour les footballeurs, qui veulent relever le plafond puisque ces 40 millions ne couvrent pas l’arriéré de 50 millions… Sans parler des dettes futures, certaines à l’aune des contrats en cours. Le syndicat des joueurs réclame aussi que la loi «Concursal» ne s’applique pas dans leur cas.
la loi Concursal, c’est quoi ?
Mise en place en 2004, la loi Concursal est un système de sauvegarde permettant aux entreprises espagnoles, après autorisation judiciaire, de diviser de moitié leurs dettes quand elles ne peuvent plus y faire face. Elle leur donne également la possibilité de suspendre le paiement de leurs dettes sans se déclarer en faillite. Cette législation permet aux clubs en cessation de paiements «d’éviter la relégation sportive, de ne pas payer les dettes immédiatement et de les réduire de 50%», selon un avocat cité dans le quotidien sportif espagnol Marca. Ce sont alors les joueurs qui trinquent en étant payés en retard et mal. Aujourd’hui, 23 clubs de première et deuxième divisions ont déjà eu recours à ce dispositif législatif. L’AFE souhaite que les joueurs puissent rompre unilatéralement leurs contrats en cas d’impayés sur trois mois consécutifs et que les clubs ne payant pas leurs footballeurs soient exclus du championnat, ce qui libérerait ces derniers de fait.
Le foot espagnol à bout ?
Dans Marca, José Maria Gay de Liébana, spécialiste de l’économie du football, fustigeait la semaine dernière un «modèle insoutenable». Fondé sur un endettement à outrance pour attirer les meilleurs joueurs, sur des droits télévisés inégalement répartis (le Real Madrid et le FC Barcelone en récoltent plus de la moitié), sur une absence de contrôle des comptes des clubs et un manque de sanctions. On marche sur la tête : alors que le Real Madrid et le FC Barcelone sont parmi les plus endettés (337 millions et 311 millions d’euros de dettes respectives), ce sont les clubs les plus modestes, dont les perspectives de recettes - droits télé et transferts - sont moindres, qui sont le plus menacés.
Quelle sortie de crise ?
Un nouveau texte devant mettre fin à la loi Concursal est prévu, mais ne sera pas voté avant plusieurs mois, ce qui pourrait ralentir les négociations. Les deux parties devaient se rencontrer ce samedi ainsi que lundi, avec pour objectif le maintien de la deuxième journée de Liga le week-end prochain. L’AFE reste ouverte aux discussions, mais les propos tenus mercredi par son président, Luis Rubiales, ne laissent rien présager de bon : «La situation est lamentable. Les valeurs du sport n’ont pas été respectées. On ne peut pas demander plus aux joueurs.» La balle est donc dans le camp de la Ligue, à défaut d’être au milieu du terrain. La première journée de ce week-end devrait être reportée entre le 19 décembre et 2 janvier, obérant la trêve de Noël.